Par Michael Palij MW
Les spécialistes du vin se souviendront avec ironie de l’industrie vinicole kiwi des années 1980. Il était pratiquement impossible de trouver une bouteille digne d’intérêt et on consommait du White Cloud – la réponse (inconvenante) d’un producteur entreprenant à une surabondance de müller-thurgau. Le marché intérieur était inexistant, largement négligé au profit de l’industrie laitière ; le contrôle de la température et l’acier inoxydable étaient les seuls outils de nombreux agriculteurs. Mais il y avait des rumeurs… On se souvient de la sortie du Coleraine 1982 de Te Mata, de la superproduction du Gimblett Gravels Bordeaux blend de CJ Pask et des débuts de Cloudy Bay – qui a changé la donne sur l’île du Sud, en 1985.
La libéralisation lancée par le gouvernement de David Lange à la fin des années 1980 a permis la refonte du secteur. La fiscalité et les licences ont été simplifiées et les producteurs australiens ont pu rentrer dans le marché. On a créé l’organisme de promotion générique « Wines of New Zealand » et arraché le müller-thurgau dans un effort concerté, au profit de variétés de qualité supérieure. Mention spéciale à l’incontournable Cloudy Bay devenu un porte-drapeau, comme le Grange en Australie et le Sassicaia en Italie. Du jour au lendemain, les sous-produits ont été éliminés au profit d’un sauvignon blanc kiwi de première qualité.
Dans le cas improbable où, comme moi, vous auriez étudié des photographies aériennes de Marlborough par tranches de 10 ans (à partir de 1995), vous remarquerez l’évolution spectaculaire des pâturages à moutons en vignobles. 86 % des vins exportés par la Nouvelle-Zélande sont des sauvignons blancs; 77 % d’entre eux proviennent de cette région. Le charmant et iconoclaste universitaire australien, le Dr Tony Jordan, y a exporté ses techniques pionnières de vinification anaérobie (sans oxygène) au moment où Cloudy Bay prenait le monde d’assaut, avec un résultat époustouflant. Immédiatement reconnaissable et qualifié de « pipi de chat sur un buisson de groseilles », il se buvait à la sortie de la chaîne d’embouteillage et se vendait au même prix que le sancerre. Ses succulents arômes de fruits primaires le rendent fabuleusement polyvalent, et la Nouvelle-Zélande a adopté le bouchage Stelvin (capsule à vis) avant tout le monde. Un vin emblématique et moins d’ennuis que le liège : une étoile était née.
Marlborough est un lieu privilégié pour la production de vin. La pluie, poussée par les vents d’ouest, tombe sur les terres avant d’atteindre la région de Blenheim. Le sol est en grande partie constitué d’alluvions à drainage libre et les brises côtières apportent de la fraîcheur. L’ensoleillement abondant – à une latitude à peu près équivalente à Valladolid dans l’hémisphère nord – permet des rendements (et des bénéfices) élevés. Les nuits fraîches, avec un écart de température diurne pouvant atteindre 15 degrés, contribuent aux notes de pyrazine caractéristiques du sauvignon (feuille de tomate, haricots en conserve, asperges). Vraiment parfait.
Le succès de Marlborough a eu un effet domino. À 250 km vers le sud, sur le versant des collines côtières de Teviotdale, Waipara est une région complexe qui rappelle l’Alsace avec ses pentes abruptes, ses sols calcaires fracturés et ses graviers de Glasnevin. Véritable havre pour les cépages aromatiques, dont le gewürztraminer, le riesling et le pinot gris, les vendanges tardives y sont savoureuses.
À 500 km au sud-ouest, Central Otago est son opposé : petits producteurs et faibles rendements. Le pinot noir, commercialisé en 1987, a fait connaître la région; la reconnaissance mondiale est arrivée au début des années 2000. Central Otago se trouve dans une gigantesque zone d’ombre pluviométrique, très sèche, avec de grandes variations de température (de 0°C la nuit à 35°C le jour). Le coût de production est y nettement plus élevé en raison de la petite échelle de production et des faibles rendements. Les domaines ont tendance à suivre le modèle bourguignon : vignobles de moins de 10 hectares, peu interventionnistes (mais toujours irrigués), prix élevés et qualité supérieure. Parmi les nombreux styles, les meilleurs se caractérisent par des fruits rouges brillants, un taux d’alcool élevé, une texture soyeuse et l’utilisation évidente du chêne. Essayez le Prophet’s Rock Home Vineyard de Paul Pujol, de la sousrégion de Bendigo, pour goûter à la richesse en cerises et en herbes.
Paysage automnal de vignobles dorés avec des collines ondulantes en arrière-plan, région d’Otago, île du Sud
L’île du Nord possède son propre noyau de pinot noir dans la petite ville de Martinborough. Près de l’extrémité sud de l’île, dans la sous-région de Wairarapa, les plantations modernes datent des années 1970. Ce plateau surélevé de gravier alluvial offre d’excellentes propriétés de drainage, favorisant le bon niveau de stress hydrique. Le climat est similaire à celui de Marlborough, mais la production y est nettement supérieure; son pinot noir nuancé et charnu a été comparé à la Bourgogne. Ata Rangi est le producteur le plus célèbre de la région, avec Dry River et Kusudu. Selon moi, Martinborough devance Central Otago au palmarès du pinot noir.
Bien que le climat néo-zélandais puisse sembler trop marginal pour les raisins à peau épaisse, une sélection minutieuse des sites permet de brillantes récoltes, comme dans la région de Hawke’s Bay. Les urbanistes auraient autorisé la construction de pistes de dragster sur les graviers de Gimblett (la sous-région de qualité supérieure de Hawke’s Bay) parce qu’il était impossible de vendre ces terres. Pourtant, la forte réflectivité et les propriétés drainantes des sols ont permis de cultiver le raisin avec un succès retentissant. Le Coleraine a fait sensation à sa sortie, mais le vrai mystère est pourquoi les cépages bordelais n’ont pas été cultivés à Hawke’s Bay, comme le sauvignon l’a été à Marlborough. La région se trouve aussi dans une zone d’ombre pluviométrique et les températures y sont modérées par la proximité de la mer. La réputation de Te Mata pour les vins rouges était assurée dès 1899, mais l’attrait de l’argent facile semble plus fort au sud (grâce au sauvignon blanc). Heureusement, Hawke’s Bay compte aujourd’hui, outre Te Mata, un groupe de
producteurs de classe mondiale, dont le légendaire Villa Maria et Trinity Hill.
À 80 km au nord de Hawke’s Bay, le climat côtier de Gisborne en fait la région de prédilection pour le chardonnay. Les brises maritimes ralentissent la saison de croissance, permettant aux fruits de développer les arômes nécessaires. Dans les années 1980, le gouvernement a mis en place un programme d’arrachage des vignes afin de faciliter la transition entre la production de masse et l’obtention d’une indication géographique respectée. Gisborne produit aujourd’hui un chenin blanc décent (même si ça peut sembler étrange), ainsi que du chardonnay.
L’île de Waiheke, à l’est d’Auckland, promet l’aventure, comme ses vins, même si ce sont les vieilles fortunes d’Auckland qui alimentent le secteur plus que les budgets des artisans. Le secteur est restreint : moins de 30 vignobles – certains indépendants, d’autres appartenant à de plus grandes exploitations, tous bien financés par un commerce de cave bien établi pour les touristes de la capitale. L’influence des eaux environnantes est importante et s’accompagne d’une forte humidité. Waiheke doit son succès aux assemblages bordelais, mais la syrah, cultivée depuis le début des années
2000, semble leur voler la vedette.
Michael Palij MW est le troisième Canadien à obtenir le titre de Master of Wine. Il est spécialisé dans les vins italiens et a fait découvrir à Opimian des producteurs vraiment spéciaux comme
Cabutto, Giovanna Tantini et Cantina Clavesana. C’est l’un des Masters of Wine d’Opimian.