La classification de 1855 et les seconds crus

Jane Masters MW est la Master of Wine d’Opimian

 

Un nombre croissant de domaines viticoles bordelais produisent un second cru. Certains produisent des troisièmes, voire des quatrièmes crus. Ce n’est pas nouveau. Il existe des documents datant du 18e siècle qui font état de domaines célèbres produisant des seconds crus.

 

Mais les seconds crus ne sont pas l’apanage des vins de grandes étiquettes, ils sont produits par beaucoup de vignobles et s’avèrent être d’excellents vins à prix abordables. Les vins de meilleure qualité sont mis en bouteilles dans des vignobles où l’excellence est au coeur des préoccupations. Produire un second cru permet aux vignerons de n’utiliser que les meilleurs fûts de vin pour le « Grand Vin ». Le reste, c’est-à-dire les vins qui n’ont pas été retenus, est relégué à des paliers inférieurs et destiné à la production d’un deuxième, troisième ou quatrième cru. Certains vins peuvent même être vendus anonymement sur le marché du vrac. Cela permet de maximiser la qualité du Grand Vin tout en générant des revenus supplémentaires. Le même soin et la même expertise sont apportés à la gestion des vignobles et les vins ainsi élaborés sont fidèles au style de la propriété viticole. En tant que consommateurs, nous obtenons des vins de haute qualité prêts à boire plus tôt et offrant un aperçu du Grand Vin.

 

Les seconds crus sont souvent produits à partir de raisins provenant de vignes plus jeunes. Les vignes peuvent vivre pendant des siècles. En général, les vignes de plus de 20 ans produisent systématiquement des raisins qui donnent des vins plus complexes et plus profonds. Les vignes plus jeunes peuvent produire des raisins dont la qualité est concentrée et nécessitent des soins attentifs si l’on veut qu’elles produisent de grands vins plus tard. Des parcelles de vignes bien précises, produisant des raisins plus légers ou à saveurs différentes, peuvent être destinées spécifiquement à la production du second cru. Par ailleurs, des parcelles peuvent être déclassées une année en raison de conditions de croissance particulières et d’événements climatiques. Paradoxalement, la qualité des seconds crus peut en fait augmenter lors d’années difficiles en raison d’une plus grande proportion de vins descendus en cascade.

 

La région de Bordeaux présente la plus forte densité de domaines viticoles haut de gamme de toutes les régions viticoles du monde. Nombre d’entre eux vendent leurs produits sur le marché international depuis des siècles et ont permis la mise en place de plusieurs systèmes de classification. Le plus célèbre d’entre eux est la Classification de 1855 créée à la demande de Napoléon III qui désirait mettre les meilleurs vins français en valeur lors de l’Exposition universelle de Paris. Un groupe de négociants et de courtiers a établi un classement des 60 premiers domaines bordelais du Médoc (y compris Haut-Brion) en cinq catégories selon le prix du vin. Les vins les plus chers, à savoir les Lafite, Margaux, Latour et Haut-Brion, forts d’une solide réputation de qualité et une clientèle fidèle, sont devenus les premiers crus. Les Bordeaux doux comme les Sauternes et les Barsac ont également été classés. Cette classification, qui reflète l’opinion du marché sur la qualité relative, était simple et facile à comprendre et elle est restée inchangée. Elle était basée sur le nom du domaine plutôt que sur les vignobles. Cela signifie qu’un domaine classé faisant l’acquisition d’un vignoble voisin non classé pouvait immédiatement intégrer ce dernier et augmenter la quantité de vin produit. De nombreux crus classés ont considérablement augmenté leurs vignobles depuis 1855. La qualité du vin peut changer au fil des ans, tant bien que mal, mais la classification est restée la même, à l’exception notable de Mouton Rothschild, qui est devenu un premier cru en 1973 après des années de lobbying. Les domaines reconnus pour produire des vins de la plus haute qualité affichent des prix plus élevés que les autres, comme le groupe des « super seconds » qui comprend les Châteaux Pichon Baron et Ducru-Beaucaillou.

Malgré une histoire viticole remontant aux Romains, la première classification des vins de Saint-Émilion n’a été  réalisée qu’en 1955. Pour tenter de pallier certaines lacunes du système de 1855, Saint-Émilion a classé des vignobles spécifiques en fonction des sols et a procédé à une révision de la classification tous les dix ans environ. Bien que le système soit animé des meilleures intentions, il demeure controversé et suscite le mécontentement, ce qui a conduit plusieurs grands domaines à s’y désaffilier. Il existe également des classifications pour le Cru Bourgeois et les vins rouges et blancs de la région Graves/Pessac Léognan avec des règles et des critères différents. Toutefois, Pomerol, où l’on trouve certains des vins les plus chers et les plus recherchés de Bordeaux, n’a pas de système de classification.

 

Toute classification est un instantané dans le temps, et non une garantie de qualité absolue. Le fait de ne pas être classé ne signifie pas nécessairement que le potentiel est moindre : il existe des sites à fort potentiel qui, pour une raison quelconque, n’ont jamais été inclus dans une classification. Il faut du temps et des ressources pour être reconnu. Être classé est certainement un avantage, mais les propriétés classées les plus avisées ne font pas que crier victoire, elles continuent leur travail. Elles cherchent continuellement à améliorer la qualité du vin, contribuant ainsi à renforcer leur image de marque et augmenter la demande, entraînant à la hausse la valeur marchande des vins et les bénéfices pouvant être réinvestis dans la recherche qualitative : un cercle vertueux parfait !