La guerre des mondes?

Par Igor Ryjenkov MW

 

Un combat de boxe? Non, rien d’aussi effrayant ou dramatique. Ancien Monde et Nouveau Monde est un raccourci qui permet de classer tous les vins du Monde dans l’une des deux grandes catégories : les vins d’Europe, d’Asie mineure et du Levant, et ceux produits ailleurs dans le monde.

 

Est-ce important, et si oui, pourquoi? Il s’agit d’une distinction géographique, mais aussi chronologique et philosophique. Étant donné que, à quelques exceptions près, tous les vins produits à l’extérieur de l’Europe sont également élaborés à partir de raisins européens, la famille vitis vinifera, l’Ancien Monde possède collectivement un savoir-faire de plusieurs siècles en ce qui concerne ces raisins. Mais tout aussi importante, voire plus, est la distinction philosophique entre les deux, qui peut se résumer à la différence entre le médium et le message, et qui influe réellement sur la façon dont les vins se comportent dans le verre.

 

 

 

 

Il ne s’agit pas de rejeter l’un plutôt que l’autre, mais de mettre l’accent sur leurs caractéristiques. Tout vigneron de qualité s’efforce de produire un bon vin en utilisant des raisins de la meilleure qualité possible. Toutefois, dans l’Ancien Monde, cela signifie que le vigneron oriente le vin vers la meilleure expression de sa provenance. Les arômes sont plus subtils, souvent avec une forte composante minérale ou salée, par exemple de l’ardoise, de la brioche ou du consommé. Dans le Nouveau Monde, l’accent est mis davantage sur le fruit et l’attrait immédiat, et le vigneron participe généralement plus activement à la création du vin. Aucune des deux approches n’est mauvaise ou bonne, elles sont simplement différentes. Vous savez peut-être déjà que « c’est un beau chardonnay! » est un compliment pour un vigneron du Nouveau Monde. Cependant, un producteur bourguignon serait bien plus heureux d’entendre « c’est un beau Meursault ». Il s’agit d’une différence subtile, mais très importante. La convention d’appellation le souligne encore plus : « Bordeaux » employé seul donne à un consommateur averti une bonne idée de ce à quoi il peut s’attendre, mais « Napa » a besoin d’un qualificatif de raisin, comme cabaret, zinfandel, etc.

 

 

 

 

La bonne nouvelle, c’est que, comme pour beaucoup de choses dans le vin, il n’est pas nécessaire d’être un expert pour repérer ces différences dans le verre pour apprécier le vin. Cependant, posséder quelques connaissances permet de mieux s’y retrouver dans le monde du vin et d’expliquer pourquoi vous préférez un style plutôt qu’un autre, surtout si vos préférences concordent avec le clivage entre Nouveau Monde et Ancien Monde. Un certain nombre de vins affichent clairement leur provenance en étant typiquement du Nouveau Monde ou d’Europe, comme de nombreux raisins italiens, le tempranillo espagnol ou le pinotage sud-africain. Mais la comparaison la plus intrigante et la plus révélatrice est celle qui consiste à mettre côte à côte les mêmes raisins ou des mélanges similaires provenant du Nouveau et de l’Ancien Monde. Ce Cellier vous offre plusieurs occasions de la faire avec des pinots noirs de l’Oregon et d’Allemagne et des assemblages bordelais de Pessac et de Russian River, en Californie.

 

 

 

 

Comme pour toute généralisation, il existe un grand nombre d’exceptions. Il n’était pas toujours facile de les différencier auparavant, et c’est encore plus difficile aujourd’hui. En raison de l’augmentation du nombre de millésimes plus chauds dans le monde entier, même dans des climats autrefois marginaux des grands vins européens, et de la pollinisation croisée des compétences en matière de viticulture et de vinification, la distinction est plus subtile qu’auparavant. Mais elle n’a pas disparu et ne disparaîtra probablement jamais complètement. La distinction qui, comme on le voit, n’est pas tant une guerre qu’une différence d’opinion polie, mais importante, une bizarrerie de plus dans le monde du vin qui rend l’exploration de celui-ci sans cesse fascinante.

 

 

Établi à Toronto, Igor Ryjenkov, MW, a été le premier Canadien à obtenir le prestigieux titre de Master of Wine en 2003. Son expertise en matière de vin se fonde sur 24 années d’expérience au sein du domaine en Ontario, d’abord à la vente au détail, puis à des postes clés en matière d’approvisionnement, et sur ses projets, notamment le développement de la nouvelle matrice à cinq points des styles de vin. Igor est l’un des Masters of Wine d’Opimian.