Des coqs et des rebelles

…Il était encore tôt lorsque les deux cavaliers, qui voyageaient en sens inverse, s’aperçurent l’un l’autre. Ils se rencontrèrent près de Fonterutoli, à une vingtaine de kilomètres de Sienne, et, comme cela avait été convenu, c’est à cet endroit que serait fixée la frontière entre les villes rivales de Florence et de Sienne…

 

C’est à l’aube, au chant du coq, que les deux cavaliers se mirent en route. Alors que l’oiseau blanc de Sienne avait été bien nourri et soigné, le coq noir des Florentins avait été mis au régime et gardé dans un petit poulailler sombre. Très alerte le jour de la randonnée, il était impatient d’annoncer l’arrivée du matin, ce qui permit au cavalier florentin de prendre une longueur d’avance. Au moment de leur rencontre, le cavalier florentin avait parcouru près de trois fois la distance parcourue par son rival siennois. Bien que cette singulière chevauchée ait permis de résoudre pacifiquement un différend de longue date, elle a également assuré la domination territoriale de sa ville pendant plusieurs siècles.

 

 

Il est difficile de retracer les racines de cette légende du Moyen Âge, mais le lien symbolique avec le gallo nero remonte à la fin du XIIIe siècle et à la Ligue du Chianti, une alliance militaire de trois villages situés au cœur de l’actuel Chianti Classico. Il est possible que cette histoire existait déjà à l’époque. Au fil du temps, les vins locaux ont pris le nom de la région. La première référence au chianti en tant que vin apparaît en 1398. Il s’agissait alors d’un vin blanc, bien que les rouges fussent également évoqués.

 

En 1716, la région viticole du Chianti a été officiellement délimitée par le grand-duc de Toscane, ce qui en fait l’une des plus vieilles régions viticoles à production continue. Ce n’est qu’en 1924, lors de la création du Consorzio of Chianti Classico Wine, que le coq noir est devenu l’emblème officiel des vins du cœur historique de la région et qu’il a été apposé sur les bouteilles.

 

 

On trouve le sangiovese un peu partout dans la péninsule italienne, mais beaucoup diront que c’est en Toscane qu’il atteint son apogée. Outre le Chianti, le meilleur Brunello, produit uniquement à partir de ce raisin, le Vino Nobile et le Morelino de la côte sont tous d’excellents exemples d’expressions régionales du sangiovese toscan. Bien que ce cépage ne voyage pas très bien en dehors du pays, ce qui fait de la région la source quasi exclusive de vins de sangiovese de grande qualité, nous savons maintenant qu’un certain nombre de régions de Toscane accueillent toute une série de cépages non traditionnels. Cependant, il restait à le prouver, et il a fallu des visionnaires pour y parvenir, ceux qui sont à l’origine des tout premiers « super Toscans ».

 

Sassicaia, un projet personnel du marquis Mario Incisa della Rochetta, a été le premier à voir le jour. Le vin a d’abord été produit pour la consommation personnelle à partir de 1948 dans une région qui n’avait pas d’antécédents viticoles et qui n’était pas très appréciée parce qu’elle ne convenait pas au sangiovese. Les vignobles étaient en fait plantés de cabernets français, francs et sauvignons. Sa première commercialisation a été le millésime 1968. À peu près à la même époque, dans la région du Chianti, Marchesi Antinori a lancé en 1971 le premier millésime du Tignanello, un assemblage de sangiovese et de cabernet sauvignon. Aucun des deux vins ne correspondait aux règles de l’AOC en vigueur, et ils ont dû être proposés à la vente en tant que Vino di Tavola, soit l’appellation la plus basse. Cependant, ils ont atteint des prix bien supérieurs à ceux auxquels les meilleurs producteurs de DOC pouvaient prétendre, et ont été connus sous le nom de super Toscans – des rebelles qui réussissent à défier les conventions.

 

 

Grâce à l’attention internationale qu’ils ont suscitée progressivement – le succès n’étant jamais immédiat -, leur nombre s’est accru, d’abord lentement, avec notamment Ornellaia et Solaia qui sont arrivés, et puis de plus en plus rapidement. Il n’y a pas vraiment de définition claire des super Toscans, et certains diront que cette définition ne devrait s’appliquer qu’au groupe d’origine. Cependant, aujourd’hui, le terme est utilisé pour décrire la gamme de vins produits avec des cépages ou des mélanges inhabituels, souvent avec une vinification plus moderne, ou dans des parties peu connues de la région. Elle est encore largement utilisée, même si le système d’appellation a su aujourd’hui trouver une place pour ces anciens rebelles dans la récente DOC Bolgheri, où le Sassicaia possède son unique cru DOC, et dans les rangs de l’IGT pour les essais plus récents.

 

Grâce au coq et aux avant-gardistes, la Toscane est le berceau de certains des vins de référence anciens comme récents d’Italie. Le chianti et les super Toscans originaux servent de toile de fond à un large éventail de sangiovese de qualité supérieure ainsi qu’à des vins exceptionnels issus d’autres cépages, y compris quelques blancs intéressants issus du vernaccia et du vermentino. Ces pages visent à vous présenter un échantillon représentatif de ce spectre, en soulignant explicitement les super Toscans. Alors, sans plus attendre, buon divertimento, e salute!

 

 

 

par Igor Ryjenkov, MW

Établi à Toronto, Igor Ryjenkov, MW, a été le premier Canadien à obtenir le prestigieux titre de Master of Wine en 2003. Son expertise en matière de vin se fonde sur 24 années d’expérience au sein du domaine en Ontario, d’abord à la vente au détail, puis à des postes clés en matière d’approvisionnement, et sur ses projets, notamment le développement de la nouvelle matrice à cinq points des styles de vin. Igor est l’un des Masters of Wine d’Opimian.