Le Mas de Daumas Gassac est un conte de fées digne de Charles Perrault, même si, dans ce cas, c’est un gant plutôt qu’une chaussure qui allait parfaitement. Avocat parisien devenu gantier, Aimé Guibert a décidé d’investir dans une maison de vacances dans l’Hérault. En 1970, il a fait l’acquisition de Mas de Daumas Gassac, situé à une trentaine de kilomètres au nord-ouest de Montpellier, dans la haute vallée de Gassac. Le domaine est protégé de tous côtés par 4 000 hectares de nature sauvage composée de forêts indigènes et d’une épaisse garrigue.
La nuit, l’air froid du Causse du Larzac (850 mètres d’altitude) descend et offre un répit durable à la chaleur méridionale. La terre est rude, caillouteuse et difficile à cultiver, mais c’est un endroit sain pour un vignoble, même si, inutile de le dire, ce n’est pas ce que Guibert avait prévu à l’origine. Par hasard, Henri Enjalbert, alors géologue en chef de l’université de Bordeaux, s’y est rendu et a remarqué la présence d’un sol particulier, soit une poudre rouge glaciaire vieille d’un demi-million d’années qui, pour une raison ou une autre, s’est déposée là et nulle part ailleurs[1].

Après avoir discuté avec Enjalbert, Guibert a commencé à planter des vignes au début des années 1970. Les cépages n’ont fait l’objet que de quelques conseils de l’œnologue Émile Peynaud. Le principal cépage était le cabernet sauvignon, choisi par sélection massale uniquement sur la base de la qualité et de la diversité des vignobles bordelais de premiers plans[2].
Aux yeux de plusieurs, cette décision allait à contre-courant. C’était l’époque de la fin des rouges algériens et du début d’une surproduction massive dans la région. Le Languedoc des années 1970 était le terreau de vins d’assemblage bon marché plutôt que d’assemblages bordelais sophistiqués. Tout ce qui venait du sud et qui n’était pas fortifié (ou originaire du Rhône) n’était tout simplement pas pris au sérieux et, dans les premiers temps, Gassac a connu le même sort.
La culture du cabernet sauvignon, le cépage de référence de Bordeaux, dans cet arrière-pays était donc très risquée, mais Guibert a persévéré. Il a loué la structure du cabernet (tout est question de structure avec Guibert), car le Mas de Daumas Gassac n’est jamais un vin massif. C’est plutôt un vin tout en grâce et en nuance avec un soupçon de mystère.
Cette part de mystère provient de deux sources : d’une part, deux hectares de garrigue, de thym et de lavande sont plantés pour chaque hectare de vigne. Deuxièmement, le cabernet sauvignon ne représente généralement que 80 % de l’assemblage grand cru. Guibert aimait expérimenter; les quelque 20 % restants contiennent invariablement des morceaux de merlot, de cabernet franc et de pinot noir, ainsi que des cépages rates de choix comme le nielluccio et le saperavi. La viticulture est biologique, la vinification est d’inspiration bordelaise (longue fermentation et macération en cuve d’acier inoxydable) et la mise en bouteille se fait sans filtration. L’élevage est de 12 à 15 mois en fûts de chêne (dont 10 à 15 % de fûts neufs), mais elle dépend fortement du millésime[3].
Aimé Guibert a été un grand innovateur jusqu’à la fin de sa vie. Il crée la gamme Moulin de Gassac en 1991 en s’associant à la coopérative locale de Villeveyrac pour explorer un terroir authentique. Le Combe Calcaire blanc est un mélange enchanteur de chardonnay, de viognier et de grenache blanc laissé sur les peaux de 3 à 5 jours, tandis que le rouge est un mélange puissant de syrah, de cabernet sauvignon et de merlot provenant de sites aux alentours du port de Sète. Guibert est décédé à l’âge vénérable de 91 ans en 2016 et a laissé à ses quatre fils (Samuel, Gaël, Roman et Basile) l’un des domaines les plus emblématiques de France.
[1] George, Rosmary, MW: The Wines of the South of France, Faber & Faber, 2001.
par Michael Palij, MW
Michael Palij MW est le troisième Master of Wine canadien. Il se spécialise dans les vins italiens et a fait connaître à Opimian des producteurs vraiment spéciaux.