Markus Molitor n’aime pas voler la vedette, malgré son impressionnante feuille de route. Ma première visite à son domaine – à la fin de l’automne 2014 – a été entièrement menée par son directeur des exportations, Daniel Kiowski, de l’accueil à la dégustation. Je n’ai rencontré Markus que quelques années plus tard, à l’occasion d’un repas qu’il a lui-même préparé (et servi) avec la discrétion qui le caractérise.
Chaque visite obtient sans surprise une note de 11 sur 10; du vertigineux vignoble Ürziger Würzgarten brillant d’un rouge terracotta sous le soleil printanier à la cave du XIXe siècle méticuleusement restaurée et récompensée par un grand prix d’architecture.
Imaginez la situation en 1984, lorsque les lois allemandes sur le vin avaient dévalorisé l’image des meilleurs Grosse Lagen et que les marchés d’exportation ne voulaient rien savoir du riesling mosellan. Markus, alors âgé de 20 ans, héritait du modeste domaine de son père et s’empressait d’acquérir les meilleures parcelles de vignes de la Moselle moyenne.
Autodidacte, Markus tire de ses vignobles une pureté unique en travaillant principalement sans raisins botrytisés, devenant le pionnier de la Moselle « sèche ». Markus ne craint pas la modernité, mais rejette la médiocrité : dans sa cave, le stückfass en vieux chêne côtoie l’acier rutilant. 65 vendangeurs travaillent à plein temps pour le domaine, assurant la rigueur de sa sélection. Aucun collage : la clarification et la stabilisation doivent se faire naturellement. De plus, son système de classification permet d’obtenir environ 80 vins différents par récolte. Seul un fou – ou un visionnaire – s’essaierait à un tel modèle.
Personne ne fait du riesling comme Markus. Après la visite, nous nous asseyons dans sa salle de dégustation classique et élégante, nous émerveillant de la longévité de ses vins secs et de ses moelleux incroyablement bien équilibrés. Daniel sourit avec un peu de condescendance à mes tentatives sincères d’identifier le vignoble et le millésime à l’aveugle. J’ai souvent 20 ans de retard (inévitablement, ils sont plus vieux que je ne l’imagine). Doucement réprimandé, je m’émerveille devant des vins débordant de vitalité et d’un fruit aussi tranchant, mûr et si concentré.
De manière quelque peu controversée, Molitor n’est pas membre du Verband Deutscher Prädikatsweingüter (VDP), le club exclusif des producteurs allemands, l’entrée lui ayant été refusée en 2016 par un vote à bulletin secret[1]. Il a choisi de ne pas y donner suite et dispose désormais de son propre système de classification au sein du QmP : les capsules blanches correspondent aux vins secs, les vertes aux vins moyens et les dorées aux vins doux. Il existe en outre une classification ascendante allant jusqu’à 3 étoiles pour les vins de cru. Tout cela confère à Markus un certain culte de l’innovation, qui pourrait tomber à plat si sa production n’était pas aussi brillante.
Ce n’est pas tant le fait que Markus Molitor ait obtenu trois notes de 100 points pour son Auslesen en 2015 qui force le respect, mais plutôt sa constance. Aucune cave ne soumet autant de vins au Wine Advocate de Robert Parker. Ses 10 meilleurs vins soumis en 2022 ont surpassé le Romanée-Conti. Il s’agit également de riesling, et non d’un rouge stéroïdien à la mode de New York, de sorte que l’armoire à médailles de ce domaine mérite une mention spéciale.
En dépit de ces éloges, et à l’exception des vins vendus aux enchères et des rares TBA, ses vins restent résolument accessibles et offrent de superbes options pour l’investisseur et l’amateur. Le riesling vieillit pendant longtemps; il possède donc un potentiel d’investissement de plusieurs décennies.
Son récent achat et la rénovation du Domäne Serrig, l’icône abandonnée de la vallée de la Sarre, viennent d’être annoncés par La Place de Bordeaux, ce qui en fait le premier vignoble allemand à commercialiser l’ensemble de sa production par l’intermédiaire du célèbre système de distribution français. Son premier millésime de Domäne Serrig, le Vogelsang Grosse Lage 2020, a obtenu – vous l’aurez deviné – 100 points.
Quelle que soit la source d’inspiration de Markus, il a une lecture très perspicace du marché. Pionnier accompli dans son domaine, il ne laisse pas pour autant aveugler par les tendances. Lorsque nous partons, Markus est perché sur un chariot élévateur et nous donne l’impression qu’il souhaite simplement continuer à faire ce qu’il fait le mieux.
[1] https://www.larscarlberg.com/a-controversy-over-new-membership-in-the-vdp-mosel/
Michael Palij MW est le troisième Master of Wine canadien. Il se spécialise dans les vins italiens et a fait connaître à Opimian des producteurs vraiment spéciaux.