Jane Masters MW est la Master of Wine d’Opimian
Durant mon voyage en Afrique du Sud l’année dernière, j’ai été frappé non seulement par la qualité des vins, mais aussi par les entreprises vinicoles exemplaires du Cap en ce qui concerne les objectifs de développement durable des Nations Unies.
Le programme de l’ONU est vaste, comptant 17 objectifs de développement durable avec 169 cibles qui se divisent en trois dimensions, soit économique, sociale et environnementale. Fondamentalement, tous les êtres humains devraient jouir d’une vie prospère et épanouissante, et le progrès économique, social et technologique devrait se faire en harmonie avec la nature.
La viticulture et la production de vin ont commencé en Afrique du Sud après que la Compagnie néerlandaise des Indes orientales a établi un comptoir commercial au Cap sous la direction de Jan van Riebeeck, qui y a planté les premières vignes en 1655. Les siècles qui ont suivi ont vu la colonisation, les invasions, les migrations et les guerres. L’apartheid a été mis en place en 1948 avec la ségrégation raciale, l’expulsion forcée des Africains natifs des centres urbains, la discrimination, la violence et le déni des droits de la personne. Cela a duré jusqu’en 1994.
Ma première visite au Cap remonte au début des années 1990. Mandela venait d’être élu et la population extatique se tournait vers un avenir plus ouvert sans embargos commerciaux, discrimination et lutte contre les inégalités historiques. Lors de mes visites dans les vignobles, j’ai rencontré très peu d’Africains noirs ou de personnes de couleur du Cap, et encore moins de personnes occupant des postes de direction. Après des décennies de discrimination, les Africains noirs*, en particulier, n’avaient que peu ou pas d’éducation formelle et manquaient de confiance. Les comportements et les attitudes étaient enracinés même chez les Africains blancs qui voulaient un changement. Jusqu’en 1990, la production et la vente de raisins et de vins étaient contrôlées par la KWV (Koöperatieve Wijnbouwers Vereniging van Suid-Afrika, qui signifie en langue africaine Union des coopératives viticoles de l’Afrique du Sud). Il y avait des problèmes de plantes infectées dans les vignobles, et la qualité du vin en général devait s’améliorer.
Aujourd’hui, la population est d’environ 57 millions d’habitants, dont 80% d’Africains noirs, 9% de personnes de couleur, 8% de Blancs et 3% d’Indiens et d’Asiatiques*. Des actions d’affirmation positive et des programmes d’autonomisation économique des personnes noires ont été mis en place, mais de nombreux Sud-Africains, pour la plupart noirs, vivent toujours dans la pauvreté, et beaucoup d’autres sont frustrés par le rythme des progrès. Pourtant, j’ai constaté des améliorations lors de chaque voyage au Cap. Les vignobles participent à des projets comme le commerce équitable, qui garantit aux agriculteurs et aux travailleurs un prix équitable avec une prime qui est investie dans l’éducation, l’assainissement et les soins de santé pour la communauté.
L’année dernière, j’ai rencontré Petrus Bosman, un Sud-Africain blanc dont la famille réside à Lelienfontein depuis 1798. Sous Petrus, l’initiative Adama Apollo Trust a été créée en 2008. Elle a permis de transférer 26 % de l’entreprise aux travailleurs des exploitations agricoles. J’ai pu constater moi-même les bénéfices tangibles en visitant son école, qui accueille 200 élèves. Cette initiative fournit également des soins médicaux, organise le transport et anime une multitude d’activités sportives, culturelles et communautaires pour les travailleurs et leurs familles. J’ai discuté avec l’Africaine de couleur Rita Andreas, qui est née et a grandi à la ferme, et j’ai réalisé que ce qui est important va bien au-delà de cela. Rita était une ouvrière générale. Ayant vu son potentiel, on lui a confié davantage de responsabilités, et elle a gravi les échelons pour devenir directrice des ressources humaines, puis présidente de l’Adama Apollo Trust. Elle est maintenant conseillère municipale élue. Son prochain objectif est de devenir ministre de l’Agriculture de l’Afrique du Sud. Je ne serais pas surprise qu’elle devienne un jour présidente !
L’Afrique du Sud a également une politique environnementale forte. Les vignobles du Cap sont situés sur certains des plus anciens terroirs viticoles du monde. La région floristique du Cap est la région la plus riche et la plus diversifiée du monde, avec plus de 9 500 espèces végétales. Les producteurs sud-africains ont mis de côté 144 000 hectares de terres protégées. Le changement climatique, ses répercussions sur les ressources en eau et l’atténuation de ses effets sont d’autres problèmes auxquels l’industrie est confrontée.
Les vins sud-africains ont donc relevé tous ces défis tout en s’améliorant. La santé de la vigne s’est considérablement améliorée, et beaucoup plus de vins de classe mondiale sont produits. Dans l’ensemble, le commerce du vin sud-africain a de quoi être fier, se positionnant comme une force du bien et démontrant ce que l’on peut accomplir avec de la volonté. En sirotant mon prochain verre de vin sud-africain, je n’apprécierai pas seulement le vin, mais je penserai aussi au pouvoir de la positivité et à ce que nous pouvons tous faire pour changer le monde.
* En Afrique du Sud, les différents groupes ethniques sont les Africains noirs, les personnes de couleur, les Blancs et les Indiens et Asiatiques. Ces termes ne sont pas irrespectueux dans ce pays.