Les nouveaux raisins de Bordeaux

par Jacky Blisson MW

 

Bordeaux est une région viticole chargée d’histoire. La classification des châteaux de la rive gauche remonte à 1855. Les pratiques viticoles traditionnelles sont transmises d’une génération à l’autre. 

 

Il peut donc sembler surprenant que Bordeaux soit la première région viticole française à prendre des mesures officielles concernant la lutte contre les changements climatiques. En 2019, les viticulteurs de l’AOC Bordeaux et de l’AOC Bordeaux Supérieur ont demandé à l’Institut national de l’origine et de la qualité* (INAO) d’autoriser l’utilisation de nouveaux cépages mieux équipés pour faire face aux changements climatiques. Leur demande a récemment été acceptée.

 

Pourquoi est-ce si important?

L’expression d’un mélange spécifique de cépages cultivés sur un site viticole précis est ce qui définit les vins de Bordeaux et leur donne un attrait unique et recherché. Depuis la grande replantation des vignobles après le phylloxéra et les gelées historiques de 1956, la répartition de ces cépages est restée inchangée.

 

Le cabernet sauvignon règne sur les sols riches en gravier de la rive gauche. La rive droite, à l’est de la Gironde et de la Dordogne, est le domaine du merlot.

 

Le problème est que la hausse des températures modifie les conditions de la saison de croissance, ce qui entraîne des périodes de débourrement et de récolte plus précoces. Le merlot, qui représente environ deux tiers de la superficie du vignoble rouge de Bordeaux, est un raisin à maturité précoce. On craint donc que le réchauffement de l’été fasse chuter l’acidité des raisins et augmenter les sucres bien avant que les tanins du raisin ne soient mûrs.

 

Plus la vigne se réveille tôt de sa dormance hivernale, plus ses tendres bourgeons sont susceptibles d’être ravagés par les gelées printanières. Les changements climatiques entraînent également une météo plus humide pour Bordeaux et donc une augmentation du risque de pourriture.

 

Pour faire face à ce défi, le centre de recherche sur la vigne de Bordeaux, l’Institut de la science de la vigne et du vin de Bordeaux (ISVV), a planté en 2007 une parcelle expérimentale avec 52 variétés françaises et étrangères. L’idée était de trouver des variétés à maturité plus tardive, avec des arômes et une structure similaires à ceux des raisins actuels, mais moins sensibles aux maladies fongiques.

 

Six candidats ont émergé de ces essais, dont des variétés rouges, soit marselan, touriga nacional, castets et arinarnoa, et des raisins blancs, soit alvarinho (aussi appelé albariño) et liliorila. Ils sont un mélange de croisements de vitis vinifera français, de raisins français oubliés depuis longtemps et de variétés ibériques. Les amateurs de Bordeaux de style classique ne verront toutefois pas leurs vins préférés modifiés de façon radicale. Les nouvelles variétés ne peuvent couvrir que 5 % de la surface totale d’un domaine et constituer 10 % des assemblages.

 

Jacky Blisson MW est auteure, éducatrice et consultante vinicole et possède vingt ans d’expérience dans toutes les facettes du commerce global du vin. C’est la première Master of Wine au Québec parmi les 10 MW au Canada.