À la découverte du nord de l’Italie

par Michael Palij, MW

 

Qu’est-ce qui a changé depuis 1995? À l’époque, j’avais les cheveux un peu plus foncés lorsqu’au volant de mon Alfa Roméo 156, je traversais la région de Soave, cherchant à franchir le Rubicon qui donnait une mauvaise réputation au nord du pays. La réputation de ses vins locaux était en jeu et, bien qu’Elio Altare n’avait pas brandi de tronçonneuse en signe de colère depuis un certain temps, l’opinion générale était très polarisée : des vins monolithiques musclés pour s’attirer les faveurs d’un certain critique de vin américain, ou de l’eau de javel survitaminée que l’on destine aux grands rassemblements ou aux supermarchés. Hormis quelques irréductibles, les producteurs qui croyaient à la typicité ou à la tradition étaient plutôt rares. Il s’agissait soit d’un cépage international, soit d’un vieillissement en barrique; sinon, rien qui ne valait le détour.

 

Mais comme les temps changent… La Vénétie a depuis remporté quarante-trois tre bicchieri en 2023. Pas mal pour une région où, lors de ma première visite, les blancs devaient être « prêts avant les vendanges », comme le disait un producteur. Le Soave de Stefano Inama n’a jamais suivi la tendance : la recette de 100 % de garganega, avec un traitement oxydatif et une intervention minimale représentait, en ces temps obscurs, une approche complexe qui menaçait le statu quo insipide de l’époque.

 

 

 

 

Dans les contreforts de Monti Lessini, Marinella Camerani continue paisiblement à produire de l’Amarone comme la tradition le veut. Elle fait partie de cette poignée de producteurs qui perpétuent la pratique ancestrale du séchage à l’air libre de leurs raisins et qui n’utilisent que le jus de goutte extrait du pressage. Pour la maturation, elle sélectionne des fûts en bois de cerisier local, qui confèrent au vin sa délicate saveur. Il en résulte un vin extraordinairement frais et fluide, qui conserve tout le poids et la texture nécessaires. D’abord, il est nécessaire de réévaluer la valeur des quatre cépages locaux : corvina, corvinone, molinara et rondinella. Aucun d’eux n’a de couleur ou de tanin remarquables, mais qu’à cela ne tienne… Tous ceux qui ont goûté son Valpolicella savent que sa délicatesse et sa fraîcheur aromatique sont authentiques.

 

 

 

 

À Bardolino, l’ancienne avocate Giovanna Tantini apporte sa propre touche à ces variétés. Elle fait office de pionnière en privilégiant le corvina, le plus important des cépages du Bardolino (sa parfaite maturation confère à son chiaretto, de couleur abricot, une grande délicatesse). Alors que nous nous promenons dans le vignoble par une fraîche matinée d’hiver, elle nous montre les grandes sassi, des pierres déposées par les glaciers voilà des millénaires. Ce type de sol est rare en Italie et avec l’aide d’une grande dose d’enthousiasme, il a permis à son domaine de se démarquer. En 2021, le terroir local a obtenu une reconnaissance officielle et le bardolino a été divisé en trois crus : Montebaldo, Sommacampagna et, au bord du lac de Garde, La Rocca, où se trouve le domaine de Giovanna. La volonté de redorer le blason de Bardolino est particulièrement réjouissante.

 

 

 

 

Nous sommes assis dans la maison de Carlo Zucchetto, dans les époustouflantes collines de Valdobbiadene. Il se rappelle qu’avant d’être omniprésent, le prosecco était un vin prestigieux. On le servait lors des grandes occasions, un peu comme le champagne. Les « bulles » de Jekyll et Hyde peuvent atteindre des sommets, mais l’emplacement est primordial. Il est indéniable que cette vaste AOC, qui s’étend sur 30 000 hectares, donne naissance à un flot régulier de bulles légères sans prétention. En revanche, si l’on se dirige vers les collines, la qualité change du tout au tout. Les deux DOCG d’Asolo et de Cogneliano-Valdobbiadene se caractérisent par des collines incroyablement escarpées, bordées de terrasses bucoliques, qui produisent des vins d’un pedigree impressionnant. En 2017, la région de Conegliano-Valdobbiadene a été inscrite au patrimoine mondial des Nations Unies… pour ses paysages et non pour ses vins.

 

 

 

 

Une verticale de vins fermentés en bouteille de Carlo, provenant de la célèbre sous-zone de Cartizze, révèle une grande richesse de caractère. Il accorde le même soin à son Extra Dry et à son Baccarat. S’il y a une région qui, contre vents et marées, jouit d’une réputation sans faille pour la qualité de ses vins mousseux, c’est bien la Franciacorta, en Lombardie. Relativement nouvelle, cette région a reçu le statut de DOC en 1967 et a été élevée au rang de DOCG en 1995[1]. Si les cépages sont bien français – chardonnay, pinot noir et pinot blanc[2] – il ne s’agit en aucun cas d’une copie conforme de l’alma mater gauloise. En effet, la réglementation relative au rosé est plus stricte que celle du champagne, ce qui est tout à fait louable. La cerise sur le gâteau, il faut le dire, c’est la catégorie Riserva, qui requiert un vieillissement sur lies d’au moins 60 mois.

 

 

 

 

Depuis ma première visite en Italie, il y a trente ans, la perception qu’a le public de ce que le nord de l’Italie peut accomplir s’est considérablement améliorée. Les anciennes batailles de clochers ont cédé la place à une prise de conscience que la survie passe par de nouvelles façons de faire. Certes, le wagon de prosecco continue de rouler, mais il oblige les grandes étiquettes à faire leurs preuves. Les variétés locales sont en plein essor : le Valpolicella et le Soave sont de nouveau à l’honneur sur les tables les plus réputées. S’il y a un bémol, c’est que même les régions les plus fraîches ressentent la chaleur – la récolte caniculaire de 2022 nous le rappelle cruellement. Au moment où nous avons appris à apprécier les cépages italiens, nous atteignons un tournant dans l’évolution de la viticulture. Le palissage des pergolas, considéré comme dépassé dans les années 1990, s’avère aujourd’hui essentiel pour l’ombrage et la maturation rapide des fruits. Parfois, les anciennes méthodes sont incontestablement meilleures.

 

 

 

 

[1] L’amélioration de la DOCG a judicieusement donné aux vins tranquilles leur propre classification DOC, Terre di Franciacorta (plus tard Curtefranca).

 

[2] Depuis 2017, l’erbamat à 10 % est autorisé. Autrefois méprisé, ce héros local présente des teneurs en acide malique utilement élevées.

 

 

MICHAEL PALIJ MW est le troisième Master of Wine canadien. Il est spécialisé dans les vins italiens et a fait découvrir à Opimian des producteurs vraiment spéciaux tels que Cabutto, Giovanna Tantini et Cantina Clavesana.