Haut-Adige : «Cool» à l’état pur

Par Igor Ryjenkov MW

 

Le Haut-Adige est un endroit « cool », dans tous les sens du terme. Enclavée dans le nord de l’Italie, la province se trouve presque au sommet du monde, chevauchant une partie des Alpes Dolomites. Cela fait de son climat l’un des plus frais du pays, rivalisant avec ses proches voisins de l’est et de l’ouest. . C’est aussi une région à part, qui se distingue de toutes les autres régions d’Italie.

 

Son autre nom, Sud Tyrol, vient de l’allemand et fait référence à son patrimoine, à sa situation et à son histoire. Le « Tyrol du Sud » était déjà peuplé avant la construction des pyramides d’Égypte et a subi l’influence des Rhétiens et des Romains entre 400 av. J.-C. et le Ve siècle après J.-C., comme en témoigne aujourd’hui le ladin, la troisième langue officielle locale, encore parlée dans quelques vallées. Intégrée à l’empire des Habsbourg en 1363 (ce qui explique les 800 châteaux et palais que la région compte encore aujourd’hui), celle-ci n’est annexée par l’Italie qu’en 1919, après la Première Guerre mondiale. Elle a donc été autrichienne pendant bien plus longtemps (environ 550 ans) qu’elle n’a été italienne. Pendant plusieurs décennies, elle a entretenu des relations conflictuelles et tendues avec Rome, ce qui a eu des répercussions sur sa langue et sa composition démographique. Elle est devenue une région autonome en 1972, ce qui lui a permis d’être indépendante dans un certain nombre de domaines – éducation, transports, etc.

 

Outre le ladin, l’italien et l’allemand coexistent aujourd’hui en tant que principales langues officielles. L’italien est parlé aussi souvent dans les centres urbains et davantage dans le sud, tandis que l’allemand et ses dialectes dominent dans les campagnes. La province compte à peine plus d’un million d’habitants et constitue une partie très peu peuplée du pays.

 

Les Alpes définissent son climat, sa topographie et son agriculture. Le climat est méditerranéen dans les vallées, mais alpin dans les contreforts. La région bénéficie d’un grand nombre d’heures d’ensoleillement et de précipitations juste suffisantes. Visuellement, l’altitude de certaines parties de la région est trompeuse, car contrairement aux Rocheuses ou aux chaînes de montagnes le long de la côte de la Colombie-Britannique, il s’agit d’une série de plateaux ondulés à des altitudes de plus en plus élevées. Les terres arables sont rares et les meilleures parcelles sont consacrées aux cultures les plus prisées, comme les pommiers au fond des vallées, qui ressemblent à des vignes, vus de loin. La viticulture est pratiquée ici depuis le Ve siècle avant notre ère; les raisins sont plantés sur les pentes et les contreforts. Le Haut-Adige est l’une des plus petites régions viticoles d’Italie. Bien qu’elle ne compte que 5 700 hectares, plantés de 20 variétés différentes et 5 000 exploitations viticoles, 98 % de ses vins sont de niveau DOC.

 

 

Compte tenu du nombre de petits exploitants, les coopératives jouent un rôle clé, et sont responsables de 70 % de la production totale de vin. La qualité de leur production est très élevée, et souvent  écompensée par des prix et des critiques élogieuses. La main-d’oeuvre et les terres agricoles étant plus chères ici qu’ailleurs au pays, les prix des vins sont généralement plus élevés, même pour une entrée de gamme, mais dans l’ensemble, la qualité est au rendez-vous.

 

 

La répartition des couleurs de vin penche vers les blancs – 65 % de la production. Les cépages emblématiques sont le pinot grigio (12 % de la superficie plantée), le traminer aromatique, également appelé gewürztraminer (11 %), le chardonnay (10,6 %), le sauvignon blanc (8,2 %), le muller-thurgau, le kerner et le riesling. Les blancs ont tendance à avoir des expressions pures et cristallines, une acidité rafraîchissante, avec un bon poids et des profils aromatiques bien développés. Le gewurz présente ici une intensité et une gamme d’arômes classiques, mais contrairement à ce qui se passe ailleurs, il offre une belle acidité grâce à la longueur de la période de suspension et à la fraîcheur de la saison de croissance. Le plus souvent, on privilégie le caractère fruité, en utilisant les barriques de manière occasionnelle pour un chardonnay ambitieux.

 

Les vins rouges sont basés sur le lagrein (9 %) et le vernatsch/schiava (8 %), ainsi que sur le pinot noir (10 %), le merlot et les cabernets. Leur style est celui de vins rouges de climat frais, parfois alpins. Le pinot est très prometteur, mais à des prix presque bourguignons. Les cabernets et les merlots mûrissent bien dans les vallées. Les cépages largein et schiava,  généralement non fermentés, produisent des vins rouges plus légers, adaptés à l’été, qui, par le passé, étaient difficiles à expliquer aux consommateurs. Pas chers mais pas bon marché non plus, ils ont tendance à avoir une bonne acidité, un corps  plus léger et un fruit simple. Alors que cela ne correspondait pas aux styles préférés jusqu’à récemment, c’est aujourd’hui le style vers lequel les marchés s’orientent et que tout le monde essaie d’imiter. On apprécie d’autant plus ces vins lorsqu’on les replace dans le contexte de leur région d’origine, et de la cuisine régionale.

 

 

À l’instar de la région, la tradition culinaire locale joue de ses influences italiennes, germaniques et alpines : lait riche des vaches élevées dans les alpages, fromages, charcuteries, plats riches en crème pour vous soutenir en hiver et pendant les fraîches nuits d’été. Parmi les spécialités de la région, citons le speck, les pommes, les boulettes d’abricot, les spätzle, les herbes alpines, le bétail et les moutons gris des Alpes. Les vins rouges locaux sont taillés sur mesure pour accompagner ces plats riches, tout en étant suffisamment légers et rafraîchissants pour s’adapter aux journées d’été ensoleillées. Servis frais en après-midi, ces vins donnent de l’éclat à une assiette de charcuterie.

 

 

Le Haut-Adige est sans doute moins connu à l’étranger que les principales régions viticoles du reste de l’Italie. Cela s’explique notamment par sa production plus faible et aussi par un syndrome de « demi-frère » puisqu’elle a puisé ses racines dans la tradition germanique. La région n’ayant pas non plus « alimenté » la diaspora italienne de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle, le Nouveau Monde n’était pas un débouché. Enfin, cela s’explique par l’absence de vin ou de raisin emblématique, comme le nebbiolo, le chianti ou l’amarone pour d’autres régions. Cependant, pour toutes ces raisons, c’est une région très « cool » de l’Italie, encore peu connue et qui mérite d’être explorée. « Cool » dans tous les sens du terme.

 

 

Avis de l’éditeur : Il s’agit de la version intégrale de la copie éditée qui a été publiée dans le magazine.

 

 

Établi à Toronto, Igor Ryjenkov MW a été le premier Canadien à obtenir le prestigieux titre de Master of Wine en 2003. Son expertise en matière de vin se fonde sur 24 années d’expérience au sein du domaine en  Ontario, d’abord à la vente au détail, puis à des postes clés en matière d’approvisionnement, et sur ses projets, notamment le développement de la nouvelle matrice à cinq points des styles de vin. Igor est l’un des Masters of Wine d’Opimian.