L’âge d’or de l’Australie

Par Michael Palij, MW

 

Le shiraz est peut-être la carte de visite traditionnelle de la production vinicole australienne, mais, à l’instar du kiwi sauvignon, ce qui était autrefois un style véritablement unique a été saccagé par les services de marketing de quelques conglomérats axés sur le volume. Avons-nous besoin d’une autre étiquette d’animaux alors qu’ils pourraient porter leurs couleurs au mât et le commercialiser comme une vache à lait? Le côté sombre et macho d’un taux d’alcool élevé, d’une forte extraction, d’une absence d’acidité et d’une bonne dose de sucre résiduel symbolisaient une génération de bombes fruitées à la fois ultra caractérisées et unidimensionnelles. À l’instar du Liebfraumilch et du Lambrusco, de nombreux vins ont été ainsi gâchés par le shiraz.

 

 

 

 

Cependant, au delà de cette lourdeur apparente, on retrouve beaucoup plus de nuances. Mais vous devez faire preuve de diligence dans votre recherche et ne pas considérer les prix de référence comme des points de repère. Le shiraz apprécie le soleil australien, tout comme le grenache, et l’Australie étant très vaste, on y trouve des îlots de viticulture en climat frais et des vignes non irriguées. Prenons l’exemple de Grange et Hill of Grace : les Australiens ont toujours produit de grands vins, même si ce n’est pas en grande quantité, il faut bien le reconnaître. Les exportations ont commencé assez tardivement : de huit millions de litres par année qu’elles étaient en 1981, les quantités transportées par voie maritime ont aujourd’hui centuplé[1]. Certes, cette offensive a bénéficié d’une horde de créatures et de personnages sur étiquette, mais, non loin derrière, se trouve un petit groupe d’artisans qui élaborent des vins à l’image de leur terroir, dans un style à la fois authentiquement australien et de renommée mondiale.

 

 

 

 

Un mot sur la fraîcheur. Margaret River est une région à climat frais de premier plan, souvent comparée à Bordeaux. Les statistiques, cependant, ne disent pas tout à fait la même chose. Margaret River se trouve à onze degrés de latitude plus près de l’équateur, avec une température moyenne de 20,9°C pendant la saison de croissance et reçoit 202 mm de précipitations. À titre de comparaison, Bordeaux enregistre respectivement 18 °C et 400 mm[2]. Qu’est-ce qui compense l’écart? La science, en somme. En 1978, le Dr Tony Jordan et Brian Croser ont mis au point des techniques de vinification anaérobie de pointe dans leur cabinet de conseil Oenotec, en Australie-Méridionale. Comme le dit Jamie Goode : « En excluant l’oxygène du processus de vinification et en utilisant l’acier inoxydable et la réfrigération, [Jordan et Croser] ont appris aux viticulteurs à produire des vins propres, fruités et délicieux, même dans des climats chauds[3] ». Voilà donc l’origine du style novateur et simplifié qui a influencé McHenry Hohnen, Geoff Hardy et bien d’autres.

 

 

 

 

En plus des monstres boisés et alcoolisés, les années 1990 ont été marquées par une préférence mondiale pour les vins issus de barriques, qui ont réussi à la fois à masquer le fruit et à renforcer la réputation de l’Australie en tant que monolithe sans charme. Mais quel pays viticole n’a pas, à un moment ou à un autre, jeté un regard de honte sur le passé? Le Piat d’Or, ça vous dit quelque chose? Baby Duck? Heureusement, l’artisanat et la perception sont en train de changer et les petites entreprises obtiennent de plus en plus de place sur les étagères des marchés d’exportation. La Chine, en particulier, mérite d’être mentionnée : elle fut la plus importante destination pour le vin australien jusqu’en 2021, représentant une part des exportations en bouteille supérieure à celle des États-Unis, du Royaume-Uni et du Canada réunis[4]. Toutefois, une guerre commerciale épineuse a réduit ce flux autrefois rentable à un mince filet d’eau. Les producteurs travaillent d’arrache-pied pour établir de nouveaux marchés, comblant ainsi un déficit estimé à 1 milliard de dollars australiens. On pourrait faire valoir que la survie du plus fort a ses avantages : les vins australiens représentaient un cinquième des vins récompensés par le prix « Best in Show » lors de la remise des prix mondiaux du vin Decanter en 2023[5]. Margaret River a été déclarée meilleure de sa catégorie. La domination du shiraz en tant que tête d’affiche ne cesse de s’éroder face au succès d’autres variétés, notamment le grenache, le cabernet et une poignée de pinots et de chardonnays véritablement cultes. À mesure qu’ils deviennent plus informés, les Australiens perfectionnent l’art de créer des vins dont l’intérêt est indéniable.

 

 

 

 

Le vin australien connaît-il un nouvel âge d’or? C’est ce que je crois. Le Robert Parker’s Wine Advocate emploie désormais une rédactrice australienne en la personne d’Erin Larkin. De nouveaux producteurs achètent des vignobles et créent de jeunes vineries . Les viticulteurs continuent d’acquérir de l’expérience à l’étranger et de la rapporter en Australie. Geoff Hardy a effectué de nombreuses consultations en Italie et en France, même si, en réalité, sa terre d’origine, les collines d’Adélaïde, n’est pas un coin perdu. Situé entre Barossa au nord et McLaren Vale au sud, Adelaide Hills est un véritable géant tranquille qui, depuis les années 2010, est devenu un élément central du mouvement des vins naturels. Le profil de la région est sur le point de devenir gigantesque : le Halliday Wine Companion 2024 a décerné le titre de « Shiraz de l’année » à, vous l’avez deviné, un producteur d’Adelaide Hills. Existe-t-il une meilleure publicité pour le shiraz d’Adelaide Hills?

 

De plus en plus, les vins de climat frais sont considérés non pas comme des produits secondaires excentriques, mais comme des piliers centraux de l’ADN australien. La synergie entre ces styles et les styles plus traditionnels est prometteuse. S’il ne s’agit pas d’un âge d’or, c’est une révolution qui arrive à point nommé. Le réchauffement climatique oblige à repenser ce que l’Australie peut, ou ne peut pas, produire. Dans quelques décennies, le shiraz sera la réserve des régions à climat frais d’aujourd’hui; le sangiovese, le grenache, le nebbiolo et d’autres variétés méditerranéennes occuperont les zones plus chaudes. Ce qui est peut-être encore plus réjouissant, c’est que nous assisterons à une reconquête de l’identité du vin australien; à tout le moins, le pays réaffirmera sa capacité à être compétitif à tous les niveaux de prix et dans tous les styles. Étiquettes d’animaux et vaches à lait? Il semble que tous les pigeonniers soient vides ces jours-ci.

 

 

 

[1] https://www.wineaustralia.com/whats-happening/stories-of-australian-wine/august-2017/the-evolution-of-australian-wine

[2] https://www.jancisrobinson.com/articles/bordeaux-2022-weather-and-crop-report

[3]. https://www.wineaustralia.com/whats-happening/stories-of-australian-wine/august-2017/the-evolution-of-australian-wine

[4] By value.  file:///C:/Users/DavidBurlton/Downloads/AgEconPlus-Gillespie-Economic-Contribution-Wine-Report-2019..pdf

[5] L’Australie domine les Decanter World Wine Awards alors que les producteurs soulignent l’ « âge d’or » de la viticulture locale – ABC News

 

Michael Palij est l’un des Masters of Wine d’Opimian.