Par Richard Kershaw, MW
Située à la pointe de l’Afrique, l’Afrique du Sud a toujours été pleine de ressources. En raison de son passé mouvementé pendant l’apartheid et des sanctions imposées par la suite, l’Afrique du Sud a été contrainte à devenir autosuffisante dans tous les aspects de la vie, de la production alimentaire jusqu’au développement industriel.
La KWV (Co-operative Winemakers Union of South Africa), fondée en 1918, est née avant la période de l’apartheid et des sanctions, mais son influence continue à se faire sentir jusqu’à aujourd’hui. Son mandat consistait à gérer les excédents de production et à fédérer les viticulteurs. Pour ce faire, la KWV accordait des pouvoirs législatifs permettant de réglementer les quotas, de restreindre les cultivars et les zones de production, et de contrôler les volumes de production. Il existait un contrôle de la mise en circulation de nouvelles vignes et de l’établissement d’un système de certification permettant de tracer le vin du vignoble à la bouteille.
Le retour de l’Afrique du Sud post-apartheid sur les marchés internationaux au début des années 90 a engendré de nouveaux défis. Bien qu’elle ait bénéficié de commentaires positifs au départ, la « nation arc-en-ciel » a eu du mal à se démarquer sur la scène internationale. Son isolement a entraîné une certaine autosatisfaction et une perception biaisée de la qualité des vins locaux et du pinotage, le cépage local. Les plaintes portant sur la présence de caoutchouc brûlé et de composés d’acroléine amers dans les vins ont mis l’accent sur les vignobles infectés par des virus et sur le choix des cépages et des clones.
Ainsi, l’Afrique du Sud a eu du mal à trouver une niche les premières années, et l’étoile des vins sud-africains pâlissait rapidement, de sorte que le vin en vrac bon marché apparaissait comme une voie plus facile.
Toutefois, la levée des sanctions et l’abolition du système de quotas ont fait naître une nouvelle ère d’innovation dans les vignobles; de nouvelles zones ont été exploitées, et des cépages plus récents et des clones exempts de virus y ont été plantés. Lentement, l’inspiration et l’influence se sont déplacées de l’Allemagne vers la France, puis vers la Méditerranée.
Plus récemment, l’Afrique du Sud a été confrontée à d’autres défis, notamment la corruption, les pannes d’électricité récurrentes, les pressions inflationnistes constantes, les grèves et un taux de change défavorable. Comme la nécessité est mère de l’invention, de nombreux établissements vinicoles ont accepté de relever le défi et d’installer des panneaux solaires et des groupes électrogènes, ce qui leur a permis d’éviter les coupures de courant et de renforcer leur réputation en matière de développement durable.
Dans les vignobles, les tensions sociales et le manque de vendangeurs dans les zones rurales dépeuplées ont incité davantage de producteurs à investir dans la mécanisation des vendanges, qui permet une récolte rapide de nuit lorsque la température est plus fraîche.
Les régions plus chaudes ont planté des cépages plus adaptés, présentant une meilleure rétention de l’acidité naturelle, répondant ainsi à l’influence des vins méditerranéens. Il s’agit notamment de raisins blancs comme l’assyrtiko, le grenache blanc et le vermentino et de raisins rouges comme le sangiovese, le touriga nacional, le mourvèdre, le barbera et le petit verdot.
Une grande partie de ce succès a été obtenue grâce à la participation de Winetech, un organisme sud-africain indépendant à but non lucratif qui reçoit et gère la taxe obligatoire de recherche versée par l’industrie vinicole sud-africaine. Cette taxe centralise les efforts sur la recherche et le développement, le transfert de connaissances, l’innovation, et l’apprentissage et le perfectionnement. On y retrouve trois programmes phares : les changements climatiques, la gestion efficiente de l’eau et la phytogénétique.
Une autre innovation en Afrique du Sud consiste à aborder les questions de qualité concurremment avec celles liées à l’avancement des régions.
Le succès du Nouveau Monde s’est d’abord construit sur la fourniture de vins de qualité constante, avec une signalisation facile des cépages, et « sans domicile fixe », où l’appartenance au lieu ou au terroir n’est pas considérée comme pertinente. L’industrie vinicole sud-africaine s’est formée sur le principe de la non-régionalité, essentiellement grâce au système coopératif où la plantation des cépages reposait sur la maturation séquentielle des raisins de façon à permettre une plus longue période de production. Cela a donné naissance à de nombreux vins non régionaux qui rejoignaient les prix de référence, souvent en bas de la gamme.
Au départ, l’Afrique du Sud n’était pas seule, car le collectif du Nouveau Monde était heureux d’éviter ce qui était ressenti comme un carcan auquel les producteurs de l’Ancien Monde devaient se conformer, en matière de cépages et de plantations spécifiques. En effet, au début, le Nouveau Monde faisait valoir qu’il pouvait cultiver n’importe quoi sans se soucier des restrictions liées au raisin. Cependant, de nombreux pays du Nouveau Monde ont rapidement compris que cette orientation n’était pas viable. Depuis les années 90, des pays comme la Nouvelle-Zélande ont ouvert la voie, en mettant l’accent sur la région de Marlborough, où se concentre le sauvignon blanc. L’Australie a rapidement adhéré au mouvement avec le shiraz de Barossa, le cabernet de Coonawarra et le riesling de Clare Valley, tandis que plus récemment, l’Argentine est devenue la patrie du malbec.
Le succès durable de l’Afrique du Sud passe par un tel positionnement de ses vins. En imprégnant un sens du lieu, nous n’ajouterons pas seulement une valeur considérable aux vins que nous produisons déjà, mais nous donnerons de la crédibilité aux différences entre nos régions.
Ce n’est pas un processus facile. Pour s’approprier des variétés ou des types de cépages particuliers et valoriser les régions, il faut approfondir le travail de base effectué par Winetech en matière de cartographie géologique et de types de sols, et développer de meilleures données clonales. Cela nous permettra de mieux identifier les sous-zones et de donner à chaque région une personnalité plus distincte. Ce parcours a commencé par l’élaboration de cépages emblématiques tels que le chardonnay d’Elgin, le pinot noir d’Hemel-en-Aarde, les assemblages Rhône de Swartland et le cabernet sauvignon de Stellenbosch.
Il reste encore beaucoup à faire, mais l’ingéniosité sud-africaine finira par faire la différence!
Né et élevé au Royaume-Uni, RICHARD KERSHAW MW a connu une brillante carrière de chef cuisinier avant de découvrir le vin. Après avoir beaucoup voyagé, il est arrivé en Afrique du Sud en 1999. Il est aujourd’hui Master of Wine et poursuit son rêve de produire son propre vin dans le climat frais d’Elgin, dans la province du Cap occidental.