Par Jacky Blisson, MW
Gel, grêle, canicule, sécheresse, feux de forêt : la saison de croissance 2022 a imposé un tas de problèmes aux viticulteurs de Bordeaux. Et pourtant, les premières informations qui nous parviennent de la région indiquent que ce millésime est très prometteur.
Une saison de croissance record
À Bordeaux, le millésime 2022 a battu les records météorologiques des trente dernières années en matière de chaleur et de sécheresse. L’hiver a été beaucoup plus sec et frais que d’habitude. Les conditions arides se sont poursuivies au printemps avec un réchauffement précoce. Le temps beau et sec a fait progresser le débourrement et a assuré une floraison réussie.
Des épisodes de gel en avril ont réduit les rendements dans certaines zones, mais sans causer de dégâts majeurs. Les vrais problèmes ont commencé en juin lorsque les températures ont grimpé en flèche et que plusieurs orages de grêle violents et localisés ont eu lieu, ce qui a décimé les plantes et réduit encore plus les rendements dans certains secteurs.
La grêle a été suivie par une forte augmentation des températures, qui ont atteint jusqu’à 40 °C dans certaines régions. La chaleur extrême a persisté tout au long du mois de juillet et d’août, ce qui a causé des problèmes de sécheresse. Les vieilles vignes aux systèmes racinaires plus profonds ont su mieux résister que les vignes nouvellement plantées, bien qu’une irrigation d’urgence ait été autorisée à des endroits comme Pessac-Léognan, Pomerol et Saint-Émilion.
Des feux de forêt dévastateurs ont détruit des milliers d’hectares de forêt à proximité de vignobles. Les viticulteurs bordelais ont craint que les raisins et leur profil aromatique soient touchés par la fumée. Heureusement, des tests intensifs en laboratoire et des tests organoleptiques des raisins ont montré que la qualité n’a pas souffert.
Comme la plupart des vins du millésime 2022 sont encore en train de vieillir patiemment en cuve ou en barrique, il est encore trop tôt pour se prononcer définitivement sur leur qualité. Cependant, les producteurs de bordeaux rouge signalent des vins mûrs et puissants aux niveaux d’alcool élevés.
Dans les appellations de la rive droite Saint-Émilion, Pomerol et Blaye, le merlot et le cabernet franc, les principaux cépages, sont particulièrement parfumés. Sur la rive gauche, dans le Médoc et les Graves, les cabernets sauvignons à maturité tardive ont profité du temps plus long passé sur la vigne. Les craintes de voir des tanins amers et peu mûrs ont été apaisées par une maturation plus régulière apportée par les nuits plus fraîches de fin août et de septembre.
Les producteurs de sauternes sont eux aussi optimistes quant à la qualité. Les conditions chaudes et sèches de l’été ont assuré une faible susceptibilité aux maladies. Les pluies de fin de saison fort bienvenues ont entraîné un bon développement du botrytis, le champignon « noble » qui fait flétrir les raisins de Sauternes, ce qui permet à leurs arômes complexes, à leur cœur concentré et à leur caractère délicieusement sucré de se développer.
Dans les bastions des vins blancs comme l’Entre-Deux-Mers, les vendanges ont commencé à la mi-août et ont donné des vins ronds et dont le caractère fruité est en avant-plan. Ces blancs souples devraient offrir une excellente valeur avec une consommation précoce.
Aperçu des millésimes précédents
2020
Le temps pluvieux du début de saison a laissé place à un été chaud où le mildiou a exercé une forte pression. La saison de récolte fut précoce et a donné une qualité inégale. Les meilleurs sont soyeux et charmants, mais prenez garde : les moins bons présentent un fruit mal défini et des tanins durs.
2019
L’été chaud et sec a connu des précipitations suffisantes pour produire une récolte équilibrée. Les vins denses aux fruits mûrs sont courants dans les meilleures zones du Haut Médoc, de Pomerol et de Saint-Émilion. La qualité dans les zones périphériques est par contre plus aléatoire.
2018
Un millésime incroyable à faible rendement. Les premières pluies ont fourni d’importantes réserves d’eau pour la saison sèche et très chaude qui a suivi. La rive gauche a produit des vins de garde complexes et taniques. La rive droite a également produit d’excellents vins, bien que légèrement moins uniformes.
2017
Les rudes gelées ont frappé tôt et fait chuter les rendements, tandis que les pluies de fin de saison ont entraîné une certaine dilution. Un bon, voir excellent, millésime avec des vins frais et légers à boire tôt des producteurs du Haut Médoc et de Saint-Émilion. Pomerol a produit des vins fruités et veloutés.
2016
Ce millésime exceptionnel de la rive gauche est souvent comparé aux millésimes remarquables des années 2010. L’équilibre entre la pluie, la chaleur et le temps sec a été excellent. Ces vins montrent une structure incroyable avec de l’élégance, de la fraîcheur et des saveurs complexes. La qualité sur la rive droite a aussi été élevée.
2015
Ce fut un millésime incroyable pour les bordeaux de la rive droite. Le temps très chaud et sec tout au long de l’année a produit des vins denses et charnus à la fraîcheur équilibrée. Les vins de la rive gauche montrent un style opulent. Margaux s’est particulièrement distingué.
2014
L’été nuageux et humide a été compensé par des conditions plus sèches en fin de saison. Il ne se distingue pas par sa qualité, mais il propose de nombreux vins juteux et faciles à boire au bon rapport qualité-prix.
2013
Ce fut un millésime plutôt humide dans l’ensemble qui a donné des vins légers et frais à boire tôt. Bien que le millésime n’ait pas été mémorable ailleurs, le sauternes 2013 est racé et élégant avec des saveurs vives.
Jacky Blisson MW est une éducatrice en vin indépendante, une écrivaine et une consultante qui possède plus de vingt ans d’expérience dans toutes les facettes du commerce mondial du vin. Première Québécoise à recevoir le titre Master of Wine, elle fait partie des 10 Masters of Wine du Canada.