Dents de poule, nid de coucou et whisky français

On pourrait croire que toutes ces choses ne sont que des mythes, des inventions fantasmagoriques. Et pourtant, le whisky français existe bel et bien.

 

 

L’article Wikipédia sur le sujet (probablement l’article le plus court que j’aie jamais lu) nous apprend que le premier whisky français a été produit aussi récemment qu’en 1987 par la distillerie Warenghem, qui a offert sa première version en 1998. Un fait intéressant compte tenu de la longue histoire de la France dans la distillation du cognac, de l’armagnac, du calvados, des marcs et des eaux-de-vie.

 

La plupart des styles de référence de whisky – scotch, irlandais, bourbon et rye ont des décennies, voire des siècles d’histoire. Les réglementations établies (matières brutes à utiliser, proportions de mélange, temps minimum d’élevage, combinaisons de ces restrictions, etc.) doivent être respectées avant que le distillat clair puisse être appelé « whisky » ou porter l’appellation d’un style spécifique.

 

 

Étant nouveau, le whisky français n’est encore que très peu encadré. Depuis 2015, on compte deux indications géographiques (IG) pour les whiskies de Bretagne et d’Alsace. Elles exigent au moins trois ans de vieillissement et un taux d’alcool de 40 %, avec un grand nombre d’options pour le whisky breton, alors que l’IG d’Alsace exige l’utilisation de l’orge et une double distillation, mais interdit l’ajout de tout colorant. Le producteur se conforme sur une base volontaire et seulement s’il souhaite utiliser l’IG. Ainsi, le whisky est en grande partie ce que le distillateur décide de dire ou de faire, ce qui n’est peut-être pas une mauvaise chose, car il faut du temps pour trouver ce qui fonctionne ou non. L’esprit français se manifeste dans les gammes de produits des distilleries en fonction de l’approche choisie : indiquer l’âge ou le millésime, ou encore la désignation comme pour le brandy (VS ou XO). Il se caractérise aussi par l’utilisation du chêne, qu’il s’agisse de nouveaux fûts en bois de forêts locales, comme le limousin, aussi utilisé dans la production du brandy, ou de nombreuses finitions dans des fûts de deuxième utilisation ayant servi à élaborer de grands vins ou du brandy.

 

Warenghem, le berceau du whisky français, est situé en Bretagne, une région aux racines celtiques ; ses premiers styles ont été inspirés par du whisky irlandais et écossais. Menhirs, une autre distillerie dans la même région, a créé en 2002 un nouveau style baptisé Eddu, un mot breton qui signifie « sarrasin », la céréale qui sert de base à son whisky. Aujourd’hui, la France compte plus de 80 distilleries de whisky réparties de la côte normande aux Alpes et de la Corse à la Lorraine, en passant la frontière allemande dans le nord, où est établie la distillerie Rozelieures.

 

 

Depuis 1877 et cinq générations, la famille Grallet cultive des céréales aux alentours du village de Rozelieures en plus de distiller du marc de vin et du vin de fruits à petite échelle. Au début des années 2000, la famille a décidé d’associer son savoir-faire en distillation à son expertise en culture de céréales. L’entreprise porte l’étiquette de whisky français « single estate », car elle n’utilise que ses propres matières premières et uniquement l’orge destinée à la production de whisky, ce qui en fait essentiellement un whisky « single malt ». Le fait que la famille cultive ses propres champs lui permet de mettre en bouteille des expressions de parcelles uniques autrement rares. Comme la plupart des pionniers, elle est consciente que la qualité de son produit déterminera la réussite de son entreprise et, par conséquent, de la nouvelle catégorie.

 

Le whisky français n’est pas celui qui vient spontanément à l’esprit des amateurs de whisky. Mais à mesure que ces âmes courageuses ouvrent la voie de ce que devrait être le whisky français, nous assistons à la naissance d’un nouveau produit authentique. Dans quelques décennies, le whisky français deviendra peut-être digne de mention pour ses qualités, et non pour créer un effet comique.

 

 

Par Igor Ryjenkov, MW

 

Établi à Toronto, Igor Ryjenkov, MW, a été le premier Canadien à obtenir le prestigieux titre de Master of Wine en 2003. Son expertise en matière de vin se fonde sur 24 années d’expérience au sein du domaine en Ontario, d’abord à la vente au détail, puis à des postes clés en matière d’approvisionnement, et sur ses projets, notamment le développement de la nouvelle matrice à cinq points des styles de vin. Igor est l’un des Masters of Wine d’Opimian.